La Wo Sing Society, une triade hong-kongaise doit élire son nouveau président à sa tête. Comme le veut la tradition, l’élection incombe aux anciens de la triade. Ces derniers doivent choisir entre Lok (Simon Yam) et Big D (Tony Leung Ka Fai). Le premier est élu à la majorité pour deux ans à la tête de la Wo Sing et doit recevoir comme symbole de son pouvoir un spectre à Tête de Dragon mais c’est sans compter sur le perdant de l’élection…
Election (2005), chef-d’œuvre de Johnnie To nous plonge dans une élection bien particulière celle d’un chef de triade qui doit se faire élire démocratiquement par ses pairs. Et comme en temps d’élection les candidats font leur campagne et usent des moyens à leur portée. Lok, le truand posé qui fait des promesses sur le partage de territoire et Big D, l’impulsif achète ses voix avec l’argent si ce n’est avec l’intimidation. Nous sommes en campagne présidentielle et comme dans toute élection, il y a un gagnant et forcément un perdant.
Que se passe t-il lorsqu’on gagne ? On est forcément emprunt d’une énorme fierté. Et lorsqu’on perd sachant qu’on pensait avoir gagné d’avance ? La pilule a du mal à passer et le symbole même du pouvoir (le précieux spectre) fait l’objet d’une guerre de convoitises des différentes parties en opposition. Ici, Johnnie To nous montre des hommes qui se livrent une bataille pour un symbole, celui de la tradition qui perdure au fil des décennies. Finalement, un objet à plus de valeur que la parole d’un homme. Ces mêmes hommes lui donnent une importance, celle de la tradition mais en font-ils seulement encore partie ? Il y a un côté très fétichiste sur l’objet comme si celui-ci faisait du possesseur « l’élu », le chef suprême sans même se poser la question des voix, ceux du vote et de leur importance réelle.
La tradition que tous semblent défendre est occultée pour faire des affaires à tout prix. Leurs aïeuls récitaient des prières érigeant leur société secrète dans un univers de principe tel que le respect des anciens. Aujourd’hui la communication a prit le pas et les luttes d’influence se font en dépit d’un quelconque respect pour ses frères d’armes ou de discipline. Á de nombreuses reprises les « sages », nostalgiques font référence au style de vie d’antan, un parallèle du style de vie actuelle où l’on est prêt à tout pour parvenir à ses fins quoique cela en coûte. La convoitise règne en maître alors que les alliances se font et se défont, faisant de la loyauté une vague notion obsolètes. Finalement ces malfrats ne sont pas si éloignés de certains hommes ou femmes du monde politique.
Encore une fois, on parle d’histoire d’hommes comme les affectionne To. Des hommes entre tradition et modernisme. Des hommes qui luttent pour leur survie dans une société en constante évolution avec des principes ancestraux d’un autre temps. La police est également présente même si elle joue plus le rôle d’arbitre que faisant preuve de poids. Elle est même d’une manière complice de ces agissements puisqu’elle permet de réunir les responsables en prison pour qu’ils puissent débattre et prendre les décisions adéquates.
To encore, anime Election dans une envie toute personnelle de traiter un sujet qu’il connaît sur le bout des doigts, l’univers violent, sombre et brutal des triades. Election n’est pas une œuvre complaisante à leur égard, justement il montre le visage impassible et froid d’hommes aux réactions animales. Toute la noirceur qui réside dans ce microcosme, To la décrypte minutieusement et avec maestria. Aucun scrupule, aucun remord : manipuler et tuer pour réussir.
Election est une véritable œuvre réalisée par un anthropologue. Les rites initiatiques, les codes, les relations entre les frères d’armes, les guerres intestines jusqu’à définir leurs vices et vertus. Beaucoup du premier, très peu du second. On éprouve du dégoût, de la sympathie pour des personnages souvent cruels, parfois pathétiques ou tout simplement humain. Johnnie To réussit aisément à exposer un univers compliqué parce que très codifiés et de nature pyramidale. Il met en place une réalisation superbe et fluide en gardant un œil réaliste sur ses sujets. Il expose un incontestable travail de maître avec cette œuvre remplit de magnifique éclat qui parsème le film.
On félicitera l’audace de To a raconter les triades comme elle avaient rarement été contées. Un regard nouveau basé sur une histoire simple avec laquelle il crée une œuvre incroyable. Quant aux acteurs, ils tiennent tous leur rôle avec talent, de Simon Yam, Louis Koo, Tony Leung Ka Fai à Nick Cheung, Lam Suet ou encore Gordon Lam.
Election raconte donc comment des hommes anéantissent la tradition et ses valeurs par cupidité et ambition, comment la triade a évolué au fil du temps, d’abord active politiquement et soudé pour ensuite créer des individualités qui s’enrichissent illégalement. L’oeuvre ne s’attarde donc pas sur les activités mais nous permet d’observer des coutumes et un style de vie, et c’est en cela que la caméra de To ne juge pas ces hommes, elle les montre comme ils sont, c’est tout.
I.D.
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