Koji Wakamatsu, cinéaste engagé livre une œuvre sans précédent sur une époque trouble de l’histoire japonaise : une époque de révolte, de contestation sanglante, et retrace de 1960 (manifestation contre le traité de sécurité du Japon avec les Etats-Unis) jusqu’au début des années 70 (prise d’otage du chalet d’Asama) un peu plus d’une dizaine d’années de combat politique et d’engagement clandestin armé. United Red Army (2008) naît de cette volonté de donner un coup de projecteur sur ces évènements.
La force de Koji Wakamatsu c’est de parvenir dans sa première partie à exposer avec clarté cette époque trouble à travers des archives et une mise en scène fictionnelle en place des documents manquants. Là est la puissance d’United Red Army, une œuvre sans concession qui établit progressivement les bases d’une deuxième partie s’adonnant exclusivement à la fiction. De mouvement collectif et politique prenant la rue comme terrain de protestation, nous passons alors à un mouvement d’individus survivants en autarcie, dans un huis clos annihilant tout individualité et développant la domination des leaders sur leurs frères d’armes.
Dans cette deuxième partie d’United Red Army, Wakamatsu se concentre sur des groupuscules de militants de la lutte armée (la Fraction Armée Rouge et la Fraction Révolutionnaire de Gauche), la plupart étant d’ancien universitaire ayant fait le choix de la clandestinité et des armes. Ici, le cinéaste raconte leur fuite en avant sans leurs leaders d’origine, arrêtés ou en exil. Il les montre se reconstituant, s’organisant et fuyant les villes pour se perdre dans les montagnes. Il les montre s’entraînant, prêchant leur doctrine et vivre dans un microcosme loin de tout comme s’ils étaient seuls au monde. Ces individus créeront alors l’Armée rouge unifiée.
United Red Army se clôture par la traque de ce qui reste de ce groupuscule de militants lesquels parviennent à se retrancher dans le chalet d’Asama. Ces individus qui restent, « sauvés » après les purges internes et les arrestations subissent un siège de la police et cela pendant une dizaine de jours. Ces individus ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes, des rats dans un piège où toute idéologie semble s’évaporer à mesure que les fumigènes policiers enfument l’ultime bastion. Ils se retiennent à peu de chose pour se motiver à continuer le combat, l’illusion comme mascarade où l’on oblige encore à l’autocritique pour un biscuit mangé de plus. Une mascarade de révolution en somme. L’œuvre de Wakamatsu listera pour finir un amoncellement de noms, de dates, de lieux et d’évènements qui s’écouleront à la suite du siège du chalet d’Asama, ce que sont devenus les protagonistes de cette part d’histoire ainsi que leur mouvement.
Disons-le, Koji Wakamatsu fait d’United Red Army – entre documentaire et fiction – une œuvre objective. Il y est loin d’être condescendant avec ces révolutionnaires écrasant l’individu pour le groupe, ces révolutionnaires qui trouvent comme excuse leur Cause pour justifier leur comportement, on pense notamment à la jalousie. Ce comportement devient alors exécutoire et fait de ces révolutionnaires des animaux abjectes sans autocritique d’eux-mêmes. Cette même autocritique dont ils ne cessent de prôner et de vociférer à l’encontre de leurs frères d’armes jugés déviants. De façon arbitraire, ils soumettent, écrasent, assassinent sans qu’aucun témoin (actif comme passif) n’ait la force de dire : stop.
En cela, Wakamatsu comme désillusionné par cette époque et ces mouvements révolutionnaires ne donne pas dans la propagande. Justement, il ne prend aucun parti pris, il montre un point c’est tout. Il expose ces individus qui s’enfoncent dans l’acceptation de l’inénarrable, de la cruauté humaine qu’il ne justifie jamais qu’il défend encore moins. Il y expose la mécanique de cette acceptation comme il en existe tristement dans l’Histoire. Wakamatsu livre une œuvre relatant la part sombre de ces groupuscules et se refuse de tomber dans une espèce de sacralisation. Il n’y a pas de héro chez Wakamatsu, encore moins de martyr, il n’y a que des individus qui ont fait le choix de faire la révolution pour changer le Japon et le monde, des individus qui se sont perdus en chemin, sans doute celui des montagnes où beaucoup ne sont jamais revenus, condamnés par un jury (les bourreaux) sans légitimité dont les jurés (des victimes potentielles) se sont depuis longtemps tus à cause de la peur. Peu importe. Pour Wakamatsu, il n’y a pas d’excuses, il n’y a que des actes qui n’ont semés que le désarroi et la mort.
United Red Army est donc la réunion de la Fraction Armée Rouge et la Fraction Révolutionnaire de Gauche raconté par Koji Wakamatsu, des militants passés à la clandestinité, des militants aveuglés par leur idéologie. La deuxième partie de l’œuvre est d’une torture immense, ce terme utilisé n’est pas péjoratif. Wakamatsu force le trait, il énonce de façon impassible. Voir ces tortures, ces atrocités commises dans le huit clos de cette lutte armée est de plus en plus insoutenables à mesure que l’œuvre avance, à mesure que la folie de ces révolutionnaires prend le pas, lassante et épuisante aussi. Voir ces tortures est une torture en soi, elle lasse presque, elle épuise sans aucun doute, mal à l’aise devant cette stupidité aveugle de l’autocritique dont font preuve les leaders et de l’attentisme de ces militants. Wakamatsu réussit à nous dégoûter de ces individus qui pour masquer leurs faiblesses humilient, torture et tuent.
United Red Army vaut pour sa reconstitution de l’époque et la compréhension de ces faits. Koji Wakamatsu met en scène une part indéniable de ce que fut à un instant T les troubles politiques du Japon et à l’image de ce qui s’est passé dans le reste du monde à travers des groupuscules tels que Action Directe, la Fraction Armée Rouge de Baader-Meinhoff, les brigades rouge italienne,… il y développe l’histoire de la lutte armée propre à l’archipel nippone entre illusion et désillusion. Une histoire peu connue, celle de tragédie humaine leurrée, dépassée par l’immensité de la lutte, un combat perdu d’avance mené par des jeunes gens, des enfants faisant les adultes : une génération désespérément sacrifiée.
I.D.
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