Avec 24 City (2008), Jia Zhang-ke poursuit son cinéma, celui d’un observateur qui retranscrit les changements sociaux et économiques de la Chine. Observer, comprendre et montrer sont les leitmotive d’un cinéaste qui se fait témoin privilégié d’un présent qui appelle le passé tout en construisant le futur. 24 City ne déroge pas à la règle et s’inscrit tout comme les œuvres précédentes de Jia à l’image de The World (2004), Stil Life (2006) ou plus récemment Useless (2007) comme une œuvre sans concession où son cinéaste fait preuve d’ingéniosité et de persévérance.
Dans 24 City, Jia Zhang-ke nous présente huit portraits au travers d’un docu-fiction. Huit portraits d’homme et de femme qui racontent l’usine 420 du passé, aujourd’hui. En effet, Jia a pris le soin de développer son œuvre aux moyens de témoignages, certains d’entre eux sont vrais, avec pour témoin des ouvriers de cette part de l’histoire chinoise, d’autres fictifs campés par des acteurs. Un melting-pot forcé puisque ces ouvriers portant la parole d’un passé ne peuvent tous témoigner, alors qu’un cinéaste tente de marquer par son œuvre une période à la fois révolue mais témoin d’une profonde souffrance chinoise. Ce pari Jia l’ose au dépend d’une narration et d’une émotion moins intense, parfois. Ainsi le portrait de « Petite fleur » ne parvient à duper le regard de cette caméra trop réaliste, allant même à créer une certaine gêne face à une narration manquant de sincérité et de vécu, tant dans la gestuelle que le regard. Mais l’on oublie vite ce passage à vide, pour en revenir à la conviction profonde qu’a le cinéaste, car Jia Zhang-ke prend le risque d’une narration fictive, pour retranscrire et compiler un melting-pot d’histoires, d’anecdotes et de récits.
L’audace de Jia Zhang-ke réside dans son devoir de mémoire. Cette audace qu’il campe, Jia la prolonge à travers ce récit mêlant documentaire et fiction via des faits établis et un imaginaire qu’il a créé au grès de ses rencontres. Jia capte avec sa caméra le temps du changement et les émotions pour ceux qui le vivent comme une page qui se tourne pour en écrire une nouvelle.
24 City c’est l’usine 420 dans le Chengdu de nos jours. Cette usine aéronautique militaire, symbole d’une Histoire chinoise, échos du passé devant disparaître pour laisser place à un complexe d’appartements de luxe (baptisé justement 24 City), est le personnage principal de l’œuvre, narré tour à tour par huit personnages de générations différentes, huit expériences individuelles faisant l’échos d’une période.
La mise en scène de Jia Zhang-ke dans 24 City est incroyablement complexe même si l’œuvre semble d’une réalisation des plus simpliste. Jia pose sa caméra et filme les derniers vestiges d’une épopée humaine révolue : ateliers, bureaux, couloirs, cours,… les lieux craquelés par le temps et l’Histoire lesquels poussent leurs derniers soufflements captés par le regard du cinéaste. Soixante ans d’histoire, soixante ans d’une tragédie pour ses protagonistes qui portent en eux le travail du temps et les stigmates d’un sacrifice pour la nation.
Le montage, les plans, la musique, les citations qui s’inscrivent sur la pellicule sont merveilleusement employés et participent amplement à la force de 24 City, nous permettant l’immersion de ressentir les émotions distillées tout au long de cette œuvre. C’est en cela que le cinéma de Jia Zhang-ke est important et qu’il démontre avec 24 City, la nécessité de montrer une situation, ses causes et conséquences, ainsi que les bouleversements de tout un peuple. Jia Zhang-ke se fait garant de garder traces de l’éphémère de l’Homme.
I.D.
2 commentaires:
J'ai été très supris d'entendre la chanson qu'interprète Sally Yeh dans The Killer. Je pense que tu as du noter ce moment. Quel beau moment aussi que cette petite chinoise patinant sur un toit d'immeuble. Il y a vraiment de la grâce dans ce cinéma.
Effectivement j'ai aussi été surprise. A croire que Jia Zhang Ke prête une certaine affection à l'oeuvre de John Woo : après le clin d'oeil à A Better Tomorrow dans Still life, et l'imitation de Chow Yun Fat, il reprend la chanson phare de The Killer.
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