Ouf ! Un énorme et grand ouf ! Si je mettais arrêté à certaines critiques de la nouvelle œuvre de Johnnie To, Vengeance/Revenge, Fu Zhou (2009), je ne serais pas allé le voir, pis encore je l’aurais critiqué sans l’avoir vu et ça… Quelques mois en arrière, la news qui tue se propageait : Johnny Hallyday dans le prochain Johnnie To après la désaffection d’Alain Delon. J’avoue avoir été quelque peu… décontenancé par cette nouvelle et d’avoir eu peur de voir l’un des meilleurs cinéaste asiatiques se fourvoyer dans une œuvre pitoyable mais c’était sans compter sur un maître, le maître du film de genre.
Macao, une famille se fait massacrer sauvagement : le père, la mère et leurs deux enfants. La mère, française voit son père débarquer dans l’ancienne enclave portugaise. L’homme nous vient de Paris et se met en quête de les venger, il s’adjoint les services d’un trio de tueurs…
Oui, Johnnie To a fait avec ce Vengeance du To, encore et toujours. Doit-on reprocher au maître du suspense Hitchcock de n’avoir mise en scène que des œuvres à suspense ? Johnnie To a inventé un style propre qu’il a distillé dans des œuvres diverses telles que The Mission (1999), PTU (2003), Exiled (2006), le diptyque Election (2005-2006) ou encore Mad Detective (2007) et Sparrow (2008), sans oublier ici Vengeance. Dans cette œuvre, To reprend les règles, les codes d’un genre ultra-vu, le film de gangsters, le film de vengeance dont tout y a déjà été dit, pourtant il confère une dimension tout autre, une dimension humaine. Il a cette facilité de montrer les personnages au naturel comme dans le feu de l’action. On y sent du respect, de l’amitié, des frères d’armes qui dépassent ce statut pour n’être que des frères.
La mise en scène de To est splendide, changeant d’un terrain de jeu à l’autre, de Macao à HK en repassant par Macao, rarement filmé avec un tel oeil. Il s’emploie à mélanger les règles du genre français et hongkongais, surtout il enfante trois scènes de gunfight magnifiques et d’anthologie : la scène du clair de lune avec un jeu de lumière superbe, celle de l’immeuble vétuste sous une pluie tombante et celle de la décharge qui donne le sentiment d’un Mad Max de fin du monde. Avec ces scènes d’action, To montre tout son talent de cinéaste dans l’emploi de l’espace. Jouissif. On lui pardonnera cette scène de prière sur la plage qui ne convint pas. La symbolique est là, pourtant il y a ce petit quelque chose qui fait que la scène ne fonctionne pas, dommage. Faute au jeu d’acteur ? Pas seulement…
Vengeance s’est revoir Jeff Costello, son fantôme, le personnage mythique interprété par Alain Delon dans le Samouraï de Jean-Pierre Melville. Johnny Hallyday prête ses traits comme si Costello revenait d’entre les morts, plus vieux, plus lourd. L’hommage de To est grand : refaire vivre un mythe par son seul nom et attributs. Alain Delon aurait été tout un symbole, le destin en a voulu autrement. Si le physique abîmé, j’entends par là le poids des années de Johnny Hallyday est parfait pour son personnage, le jeu de ce dernier est à la peine. On le sent parfois mal à l’aise, pantois. Il y a ce quelque chose qui cloche dans des répliques et des accents qui sonnent faux.
Film surréaliste, Vengeance raconte donc l’histoire d’une vengeance comme l’indique son titre mais la vengeance d’un homme qui a des pertes de mémoire. To interroge alors : Qu’est-ce la vengeance ? Qu’est-ce que la vengeance lorsqu’on ne se souvient plus des victimes et des bourreaux ? Quel sens lui donner ? La perte de mémoire n’est pas une idée inintéressante notamment avec toutes les questions spirituelles et métaphysiques qu’on peut se poser, cependant elle n’est pas employée à sa juste valeur. On en ressort avec un goût d’inachevé comme si l’on n’était pas allé jusqu’aux bouts des choses. Ici, Johnny Hallyday a un jeu trop vide et pas assez profond pour nous faire ressentir le malaise de son personnage, le déracinement (être seul au milieu de nulle part) et l’oubli (seul face à lui-même, au néant).
Et les locaux ? Je parle ici des acteurs made in HK. Johnnie To s’adjoint comme à son habitude un panel d’acteurs qui renforce la beauté de l’œuvre. Anthony Wong est tout bonnement génial, une classe ! Le trio de tueurs professionnels avec Lam Suet et Gordon Lam dont il fait partie, est un trio de véritables orfèvres du crime à Macao. Tout y est carré, au point. Face à eux, leurs alter égo en plus brutal, un trio de tueurs de HK. Johnnie To nous montre des hommes, des hommes qui ont une famille et qui tuent et éliminent d’autres familles. Le parallèle entre ces deux factions de tueurs est remarquable et la confrontation qui en découle l’est tout autant. Et que dire de Simon Yam en chef de triade des plus cabotin qui soit ? Génial.
Vengeance c’est du grand art cinématographique. J’exagère ? Question de point de vue. L’œuvre de Johnnie To est indissociable de ses autres films majeurs et pour cela Vengeance mérite d’être vu et apprécié à sa juste valeur.
I.D.
1 commentaires:
Entièrement avec toi. Je suis ressorti de la salle fatigué par tant de puissance visuelle et touché par l'interprétation de Johnny, définitivement parfait dans le rôle de cette espèce de silouhette spectrale troublée, paumée, fatiguée, et qui plus est entaché de problèmes de mémoire. "le gunfight au clair de lune" restera dans les anales de ce que Johnnie To sait faire de mieux. Et plein de petites touches formidables comme l'utilisation des timbres en fin de métrage. A la fois une vraie cour de récrée et du vrai polar noir.
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