Gubra / Anxiety (2006) devait être le premier film projeté de Yasmin Ahmad. Les aléas ont fait que la séance fut déprogrammé au profil de Mukhsin. L’attente fut longue, mais le plaisir immense de retrouver du grand Yasmin Ahmad.
Je n’ai qu’un court aperçu de la filmographie de la cinéaste mais Gubra a eu comme Mukhsin un parfum de magie. Un film particulier et savoureux. Toujours dans l’émotion et dans l’observation, Gubra s’inscrit comme une des œuvres majeures de la cinéaste. Parce qu’au-delà de la sincérité, se dessine une maîtrise et une aisance éblouissantes dans le travail d’écriture et la finesse de la mise en scène.
Orked est mariée à Arif, un homme plus âgé qu’elle. Son père tombe soudainement malade. Alors qu’elle se rend à l’hôpital, elle fait la rencontre d’Alan, le frère de son premier amour, Jason (épisode de sa vie que l’on suit dans Sepet).
La singularité de Gubra réside dans le fait que Yasmin Ahmad n’est pas fait le choix d’une histoire mais de plusieurs. Tout d’abord celle d’Orked, son mariage et sa famille, puis celle d’un couple de musulmans qui souhaite apporter leur aide à deux prostitués. A travers ces deux axes, la cinéaste parle d’amour mais aussi et toujours de tolérance. Dans Gubra, on comprend le parallèle que souhaite instauré Yasmin Ahmad. Comme un tableau, une fresque elle pose chacun de ces personnages à un instant T de leur histoire d’amour : la désillusion pour Orked, la séduction pour la bonne, le réconfort pour les parents, la complicité pour le couple de musulmans. Tout cela aurait pu aboutir à des séquences maladroitement ombiliqués, mais rien de cela. Le tout est accordé au millimètre prêt, il y a de la maîtrise derrière cela. Les séquences se suivent sans anicroches et avec une grande délectation.
Ce que l’on note une fois de plus c’est le sens du détail qui se dégage du travail de la cinéaste. Une précision, qui pourrait paraître inutile, mais qui apporte une profondeur à sa réalisation et sa narration. Comme ce plan touchant du mouvement des jambes du petit garçon attendant sa mère. Les gestes sont justement repris pour susciter une émotion naturelle, rappelant des images et situations familières.
La tolérance, on y vient. Comme un fantôme qui hanterait la cinéaste, Gubra marque une fois de plus ses convictions profondes. Une tolérance que l’on retrouve dans le rapport de cette femme chinoise avec ces deux femmes malaises. Une tolérance que l’on retrouve aussi dans la façon dont Yasmin Ahmad a de traiter la religion musulmane et de désacraliser les individus qui l’embrassent. Dans Gubra, on perçoit sa volonté de nous montrer, à travers ce couple de musulmans (dont le mari a à sa charge la mosquée), des individus « comme tout le monde », dont la religion ne retire en rien la séduction, l’entre aide et l’amour. Une vision de la religion différente et sensible par laquelle on entrevoit la position de la cinéaste.
Gubra est loin d’être un mélodrame de bout en bout. Le film retranscrit la vie avec ces hauts et ces bas. On rit énormément à travers un humour mordant. On sent aussi souvent sa gorge se nouer quand l’émotion s’installe. Gubra, c’est un savant mélange dont Yasmin Ahmad a elle seule la recette, un mélange entre hilarité et tristesse, entre légèreté et profondeur. Une œuvre tout en finesse. Une œuvre touchante, confirmant le talent et la virtuosité d’une grande dame du cinéma, qui prématurément disparue, laissera derrière un manque pour ses inconditionnels et pour le paysage cinématographique.
Diana
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