Prix de la mise en scène au dernier Festival de Cannes, Kinatay (2009) du cinéaste philippin Brillante Mendoza s’inscrit comme un long-métrage sombre et violent reflétant un quotidien qui prend racine à Manille.
Peping, dix neuf ans étudie à l’école de police. Il vient de se marier avec Cecille avec laquelle il a un bébé de sept mois. Pour se faire un peu d’argent, il récolte l’argent du racket, organisée par la police locale…
Kinatay est une œuvre d’ambiance. Le huitième film de Brillante Mendoza s’ouvre sur Manille, ville vivante, ville grouillante où les gens vont et viennent ainsi que les véhicules motorisés. Une caméra portée capte cette agitation, ce bruit d’une citée où les faits divers se jouent face caméra (celle de Mendoza et des médias). Ils se jouent aussi devant les badauds à la fois spectateurs et interprètes d’évènements presque anodins dans le contexte que connaît la capitale philippine. Des évènements qui s’apparentent à un cirque médiatique, simple amusement pour ses spectateurs (passifs et actifs). En parallèle, l’auteur nous montre que la vie continue, face aux drames-spectacles qui se jouent, la joie y co-existe : danse, musique, mariage… Dans cette ville aux milles visages et aux milles contrastes, Brillante Mendoza nous invite dans la vie du jeune Peping.
Là, où Kinatay change de visage c’est à la nuit tombée. Nouveau contraste. Le jour et la nuit. Manille se veut plus discrète avec le bruit des sirènes de police qui ponctue les virées nocturnes de ses habitants. On lui découvre un nouveau visage comme celui de notre protagoniste, élève à l’école de police le jour qui se transforme en un maillon du racket organisé la nuit. Ce nouveau visage est d’autant plus frappant qu’il a pour figure principale la police. La police représentante des maux que sont les trafiques comme le racket, la drogue, le meurtre… Brillante Mendoza pointe du doigt l’institution policière et ses déviances, la violence d’une ville et les affaires illicite qui la gangrène. Le cinéaste philippin nous plonge alors dans l’horreur de l’univers criminel sans foi ni loi.
Á l’image de Peping dans Kinatay, nous ne pouvons qu’assister impuissant à un drame qui se joue et qui le marquera à jamais. On suppose ainsi qu’il fait ses premiers pas sur un chemin de non-retour qui le conditionnera dans son futur métier de policier. Etape exigée pour faire partie d’une famille qui l’oblige au pire en devenant complice de l’infâme. Un dépucelage en bon et due forme nous invitant dans l’antre d’une barbarie criminelle où la peur et l’attentisme se récente dans l’atmosphère ambiant. L’atmosphère y est pour beaucoup dans Kinatay. Le cinéaste parvient à instaurer un climat particulier qui en rebutera plus d’un. Il s’arrête sur des instants qu’il tire en longueur pour mieux nous imprégner de ce qui entoure son personnage principal et de ce fait nous entoure également. Un malaise en découle, suscitant un passage obligé à la compréhension d’une situation, qui se vit plus qu’elle ne se regarde avec détachement.
Le but de Kinatay est de nous faire réagir. Nous ne sommes plus de simples spectateurs passifs qui assistons à une histoire sur la criminalité faisant rage à Manille et sa banlieue. Nous sommes Peping. Nous sommes Peping et son impuissance. Nous subissons dès lors une influence claustrophobe embarqué à notre tour dans une mission qui s’avèrera meurtrière et sanglante. Brillante Mendoza change notre regard de spectateur. Nous sommes ces badauds dans les rues de la capitale des philippines qui assistent aux faits divers comme un spectacle. Nous ne pouvons revenir en arrière. Nous sommes pris au piège et vivons une expérience qui s’avère douloureuse et traumatisante. L’immersion est totale, on sent la peur, les interrogations. Nous vivons ce chemin qui mène à l’échafaud, c’est brutal, violent mais jamais gratuit. Nous vivons les horreurs d’un repère de la Mort, c’est dur, toujours aussi violent mais encore une fois jamais gratuit. Ces horreurs existent au quotidien puis le jour supplante la nuit. La ville grouillante reprend ses droits au levé du jour dans un marasme de bruit, dans une cohue étouffante qui s’agite. Un jour remplace un autre, une routine qui nous montre un Peping (nous-même) dérouté après avoir quitté sa « famille policière » alors qu’ailleurs une femme nourrit son bébé, la vie continue semble nous dire Brillante Mendoza. Une histoire parmi tant d’autre qu’on abandonne à son (sombre) destin…
Kinatay est une œuvre de contraste terriblement sincère et crue dans son rapport à la réalité, celle qu’on n’aimerait nier mais qui existe avec parcimonie dans les colonnes des faits divers des mass-médias. Avec ce film, Brillante Mendoza signe une œuvre dérangeante certes mais profondément vraie et d’un onirisme obscur répugnant. Un morceau de vie parmi des millions sur lequel on s’arrête le temps d’un film. Nous attendons d’ores et déjà avec impatience sa prochaine œuvre : Lola, très remarqué à l’édition 2009 de la Mostra de Venise. Un autre morceau de vie…
I.D.
3 commentaires:
Pareil, tellement peu de salles que j'ai pas la possibilité de le voir... je suis à peine dégouté!
Surtout que Mendoza l'air de rien il se construit une oeuvre démentielle!
Brillante Mendoza permet au cinéma philippin d'exister même s'il n'est pas tout seul à le faire vivre, cela va de soit. Mais c'est indéniablement un cinéaste qui a un potentiel, un potentiel que j'espère voir évoluer et grossir encore dans les années à venir.
Après question de salle, je ne peux dire. Il était notamment à l'affiche à l'ugc des Halles à Paris. J'espérais qu'avec un Prix de la mise en scène à Cannes en 2009, il serait plus représenté sur nos écrans. En même temps, le sujet n'est pas facile, y a plus qu'à attendre la sortie DVD...
Vu à l'UGC des Halles ce matin à 11h! Il continue d'y passer. Petite salle, mais un écran très proche...immersion garantie pour cette plongée en enfer.
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