mardi 11 janvier 2005

Election 2 (Hak se wui yi wo wai kwai) : Nouveau mandat

mardi 11 janvier 2005
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Johnnie To Kei-Fung réalise une suite à Election (2005) et crée de ce fait un diptyque d’anthologie avec ce deuxième volet : Election 2 (2006). Le diptyque du microcosme de la Wo Sing Society s’inscrit alors comme des œuvres cinématographiques incontournables de l’univers des organisations criminelles. Deux œuvres à ranger aux côtés de Goodfellas et de Casino de Martin Scorcese ou de la trilogie de The Godfather de Francis Ford Coppola.

Dans ce deuxième volet de la Wo Sing, on prend les mêmes et on recommence avec la même jouissance. Que sont-ils devenus au bout de cette « présidence » (leur position au sein de la triade, leur comportement, leur vision des choses) ? Election 2 est une extension du premier volet. Il est intéressant de voir des personnages connus et constater après une certaine période, l’évolution personnelle et celle du groupe au contact de l’ivresse du pouvoir.

Election 2 est une œuvre sociologique de l’univers mafieux comme le film précédent, mais cette fois-ci, Johnnie To met l’accent sur les relations entre triade et pouvoir politique. Les triades jouissent d’une protection des autorités. Quant aux autorités, elles désirent une coopération des triades pour le bon fonctionnement de la vie sociale. Le message est clair : faire des affaires dans l’harmonie et sans esclandre. Johnnie To reprend le personnage principal du premier volet, Lok (Simon Yam).

Ce dernier est en fin de mandat et comme d’autres avant lui, la perspective d’abandonner la présidence de la triade l’irrite. Il a le souhait de rempiler pour un second mandat, ce qui va à l’encontre de la tradition. Pourtant, il a fait de la Société, l’une des plus puissantes de Hong-Kong. Beaucoup d’anciens voient alors en Jimmy (Louis Koo), jeune malfrat entreprenant et aux affaires prospères comme le président du moment. Jimmy est donc pressentit pour reprendre les rênes du pouvoir, cependant ce dernier n’est pas intéressé. Il travaille à se refaire une image d’homme clean et veut devenir un homme d’affaire honnête et respectable en effaçant son passé de gangster. Cette notoriété d’homme d’affaire le met en contact avec les autorités chinoises qui lui font comprendre que s’il désire continuer à faire des affaires en Chine, il doit devenir le président de la Wo Sing…

Dans Election 2, deux personnalités s’affrontent pour le pouvoir. Le président en place Lok, qui ne compte pas abandonner son siège de chef et le jeune loup aux dents longues : Jimmy, qui comprend que pour devenir l’homme d’affaire respectable qu’il souhaite, il doit passer par le poste suprême pour être reconnu des autorités chinoises. Cette nouvelle « élection » évolue donc sous le signe du conflit générationnel comme c’était le cas déjà dans le premier volet mais ici à une petite différence ; Lok incarne la tradition, les « anciens » et Jimmy, l’organisation criminelle du 21ème siècle.

Lok qui donnait les apparences d’un truand posé et voulant évoluer dans une situation harmonieuse dans Election, nous montre ici son véritable visage. Il se cache derrière un sourire sympathique mais est en réalité un homme d’ambition et cupide, prêt à tout sacrifice. Il est avant tout manipulateur, promettant la présidence à des hommes de mains qu’il utilise à bon escient. Il ne conçoit nullement d’abandonner le pouvoir et part en guerre quoi que cela lui en coûte.

Jimmy est l’archétype même de ces hommes qui utilisent les entités dans lesquelles ils baignent pour réussir. En opportuniste rêvant d’une image propre, il a utilisé la triade pour s’enrichir et ainsi investir dans des affaires propres auxquels il veut s’adonner complètement. Les « anciens » voient d’un mauvais œil son désir de prendre ses distances avec le milieu. Mais la réalité du pouvoir plus haut que celui de la triade lui remet vite les pieds sur terre sous les traits de Xi.

Xi est un responsable de la sécurité chinoise. Il est l’incarnation des filiations qui existent entre les triades de HK et le gouvernement chinois. Et comme l’imagerie du marionnettiste des films de Coppola, il est celui qui tire les ficelles dans l’ombre. Ainsi, il voit tout comme les « anciens » de la Wo Sing, Jimmy comme le candidat idéal à la tête de l’organisation. Á travers ces relations, Johnnie To montre les changements opérés à Hong-Kong d’un point de vue économique et politique, c’est d’une certaine façon l’aboutissement de relations depuis la rétrocession de HK à la Chine.

Election 2 reprend tous les ingrédients qui ont fait le succès de Election. Les confrontations, les manipulations, la nature de l’homme bestial et sans cœur. On piétine autant la loyauté que le respect. Johnnie To réalise le film avec la même maestria que le premier en usant de scènes qui feront date dans le cinéma. Encore une histoire d’hommes sans aucune limite pour atteindre leurs objectifs, avec son lot de gagnants et de perdants. Encore une fois les acteurs (Eddie Cheung, Yau Yung, Wong Tin Lam…) tiennent le haut du pavé mis en lumière par la mise en scène de To.

Election 2 c’est aussi Jimmy, celui a qui tout réussit, installé sur le siège suprême que les autorités chinoises tiennent. En deçà, un loup solitaire continuera à courir, le personnage de Jet interprété par un formidable Nick Cheung, qui avec ce personnage tient son meilleur rôle jusqu’alors, un homme de main sacrifié qui est le dernier à incarner des valeurs telle que la loyauté, et qui par loyauté préfèrera continuer à endosser le rôle du traqué à l’image des héros tragiques. To met en parallèle ces deux hommes dans deux scènes superbes. Les deux extrémités d’une pyramide cohabitant dans un même plan. Superbe.

I.D.

Election (Hak seh wui) : Lutte pour le pouvoir

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La Wo Sing Society, une triade hong-kongaise doit élire son nouveau président à sa tête. Comme le veut la tradition, l’élection incombe aux anciens de la triade. Ces derniers doivent choisir entre Lok (Simon Yam) et Big D (Tony Leung Ka Fai). Le premier est élu à la majorité pour deux ans à la tête de la Wo Sing et doit recevoir comme symbole de son pouvoir un spectre à Tête de Dragon mais c’est sans compter sur le perdant de l’élection…

Election (2005), chef-d’œuvre de Johnnie To nous plonge dans une élection bien particulière celle d’un chef de triade qui doit se faire élire démocratiquement par ses pairs. Et comme en temps d’élection les candidats font leur campagne et usent des moyens à leur portée. Lok, le truand posé qui fait des promesses sur le partage de territoire et Big D, l’impulsif achète ses voix avec l’argent si ce n’est avec l’intimidation. Nous sommes en campagne présidentielle et comme dans toute élection, il y a un gagnant et forcément un perdant.

Que se passe t-il lorsqu’on gagne ? On est forcément emprunt d’une énorme fierté. Et lorsqu’on perd sachant qu’on pensait avoir gagné d’avance ? La pilule a du mal à passer et le symbole même du pouvoir (le précieux spectre) fait l’objet d’une guerre de convoitises des différentes parties en opposition. Ici, Johnnie To nous montre des hommes qui se livrent une bataille pour un symbole, celui de la tradition qui perdure au fil des décennies. Finalement, un objet à plus de valeur que la parole d’un homme. Ces mêmes hommes lui donnent une importance, celle de la tradition mais en font-ils seulement encore partie ? Il y a un côté très fétichiste sur l’objet comme si celui-ci faisait du possesseur « l’élu », le chef suprême sans même se poser la question des voix, ceux du vote et de leur importance réelle.

La tradition que tous semblent défendre est occultée pour faire des affaires à tout prix. Leurs aïeuls récitaient des prières érigeant leur société secrète dans un univers de principe tel que le respect des anciens. Aujourd’hui la communication a prit le pas et les luttes d’influence se font en dépit d’un quelconque respect pour ses frères d’armes ou de discipline. Á de nombreuses reprises les « sages », nostalgiques font référence au style de vie d’antan, un parallèle du style de vie actuelle où l’on est prêt à tout pour parvenir à ses fins quoique cela en coûte. La convoitise règne en maître alors que les alliances se font et se défont, faisant de la loyauté une vague notion obsolètes. Finalement ces malfrats ne sont pas si éloignés de certains hommes ou femmes du monde politique.

Encore une fois, on parle d’histoire d’hommes comme les affectionne To. Des hommes entre tradition et modernisme. Des hommes qui luttent pour leur survie dans une société en constante évolution avec des principes ancestraux d’un autre temps. La police est également présente même si elle joue plus le rôle d’arbitre que faisant preuve de poids. Elle est même d’une manière complice de ces agissements puisqu’elle permet de réunir les responsables en prison pour qu’ils puissent débattre et prendre les décisions adéquates.

To encore, anime Election dans une envie toute personnelle de traiter un sujet qu’il connaît sur le bout des doigts, l’univers violent, sombre et brutal des triades. Election n’est pas une œuvre complaisante à leur égard, justement il montre le visage impassible et froid d’hommes aux réactions animales. Toute la noirceur qui réside dans ce microcosme, To la décrypte minutieusement et avec maestria. Aucun scrupule, aucun remord : manipuler et tuer pour réussir.

Election est une véritable œuvre réalisée par un anthropologue. Les rites initiatiques, les codes, les relations entre les frères d’armes, les guerres intestines jusqu’à définir leurs vices et vertus. Beaucoup du premier, très peu du second. On éprouve du dégoût, de la sympathie pour des personnages souvent cruels, parfois pathétiques ou tout simplement humain. Johnnie To réussit aisément à exposer un univers compliqué parce que très codifiés et de nature pyramidale. Il met en place une réalisation superbe et fluide en gardant un œil réaliste sur ses sujets. Il expose un incontestable travail de maître avec cette œuvre remplit de magnifique éclat qui parsème le film.

On félicitera l’audace de To a raconter les triades comme elle avaient rarement été contées. Un regard nouveau basé sur une histoire simple avec laquelle il crée une œuvre incroyable. Quant aux acteurs, ils tiennent tous leur rôle avec talent, de Simon Yam, Louis Koo, Tony Leung Ka Fai à Nick Cheung, Lam Suet ou encore Gordon Lam.

Election raconte donc comment des hommes anéantissent la tradition et ses valeurs par cupidité et ambition, comment la triade a évolué au fil du temps, d’abord active politiquement et soudé pour ensuite créer des individualités qui s’enrichissent illégalement. L’oeuvre ne s’attarde donc pas sur les activités mais nous permet d’observer des coutumes et un style de vie, et c’est en cela que la caméra de To ne juge pas ces hommes, elle les montre comme ils sont, c’est tout.

I.D.

 
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