J’étais là, regardant sur ma
gauche, sur ma droite, une rue devant moi, dans les nouveaux quartiers de Phnom
Penh alors qu’ailleurs les projets immobiliers étaient à l’arrêt. Il faisait
beau et chaud, euphémisme. J’attendais là tandis que des personnes autour de
moi s’activaient à préparer un mariage (pas le mien, désolé maman) parti pour
durer deux jours (trois étaient prévus, deux c’est bien aussi).
J’étais là à regarder les cuistots
sur ma gauche s’atteler à leurs tâches, sur ma droite et devant moi les petites
mains qui installaient le décor de fête alors que je pensais à... J’imaginais à
ces clients attablés dans ce restaurant au bord du Tonlé Sap dans lequel
j’avais mangé la veille. C’était bon. J’avais faim. J’avais pourtant petit déjeuner
(preuve à l’appui). Et puis sok-saov,
caché derrière ses lunettes de soleil m’interpella en affichant son sourire qui
montrait ses dents. Un mec sympa ce sok-saov
avec ses tatouages, son or porté, son talkie-walkie constamment porté à la
ceinture (?). Ah oui, sok-saov, c’est
la belle (belle)-famille. Comment définir nos liens… ? Une espèce de bel
oncle éloigné. On peut dire ça. Sok-saov n’est pas son vrai prénom, cela va de
soi. D’ailleurs, je ne connais pas sa véritable identité, juste son surnom « sok-saov » qu’on traduirait en langue
de Molière par « vendredi-samedi ». Où en étais-je ? Oui.
Vendredi-samedi m’interpella. Minute. Je préfère la version originale, pas
vous ? Sok-saov me fit donc un
signe de la tête qui m’invitait à le suivre. Il me faisait un peu peur. Il
avait un côté louche… et puis pourquoi pas. J’emboîta le pas alors qu’un autre
bel oncle, Peng (plus facile à prononcer) m’interpella à son tour pour me
demander en version anglaise où j’allais ? Moi baragouinant que je suivais
sok-saov. Je vis alors dans les yeux
de Peng de l’appréhension. J’ai bloqué sur le coup (véridique) tandis que je me
tournais vers sok-saov. J’essayais de
comprendre la signification de ce regard craintif alors même que je marchais
côte à côte avec sok-saov. Je sentais
le regard de Peng dans mon dos et imaginais le passif que pouvait avoir un
homme comme sok-saov (un homme aussi…
louche).
Nous arrivâmes devant la route
qui longeait les immeubles où je logeais. Le chaos routier n’avait pas changé
depuis hier soir, rassurant (en fait, pas vraiment). Nous traversâmes la route
tout en évitant les véhicules qui allaient dans un sens et venaient dans
l’autre. A ma grande surprise, j’arriva en chair et en os de l’autre côté de la
route, planté devant un établissement servant du café. Je remarqua une vitrine
avec des paquets de nectar, cool. Sok-saov
me fit un signe de la tête vers l’une des tables qui se trouvait entre
l’intérieur de l’établissement (au fond duquel une télévision diffusait des
clips de karaoké, le son à fond) et l’extérieur (entendez par là, la terrasse).
Nous nous installâmes donc dans cet entre-deux où se trouvait également une
télévision arrêtée sur une chaine américaine, un générique de fin de film
défilait. Sok-saov passa commande (kaa fey toek dah ko !) auprès d’une
jeune serveuse qui hocha de la tête sans que je comprenne un seul mot sorti de
sa bouche. Il y avait une vingtaine de personnes qui étaient assis de façon
dispatchée. Ca discutait en groupe, ici. Ca lisait un journal papier en solo,
là. La serveuse arriva avec deux cafés au lait glacé. Yeah ! Vous voulez
que je vous dise ? Il est cool ce sok-saov.
Il existe une barrière de la langue entre lui et moi mais on parvient tout de
même à se comprendre. Et sur ce coup, il a eu du pif le sok-saov. J’adore le café au lait glacé. Je ne bois que ça (ou
presque). J’étais donc pleinement satisfait et un film de Stanley Kubrick se
jouait à la télévision à ce moment-là. Cool ! C’était 2001, l'Odyssée de l'espace.
Je sirotais mon café au lait glacé sans porter plus d’attention au film du
cinéaste états-uniens que j’avais découvert adolescent lors des fêtes de fin
d’année (si ma mémoire est bonne). J’échangeais des appréciations (surtout faciaux)
avec sok-saov. Je regardais au loin
les clips diffusés sur l’autre télé puis mon regard s’arrêta sur cette scène autour
du point d’eau (la scène de l’attaque à l’os que j’apprécie tout
particulièrement). Je fixais mon regard sur l’australopithèque à l’os qui donna
le premier coup et le second qui firent réagir quelques cambodgiens attablés
autour de leur café. Je balaya amusé les personnes autour de moi avant de fixer
à nouveau mon regard sur l’écran de télévision. L’australopithèque à l’os
revint à la charge pour s’acharner. Ce passage fit pousser un cri de
stupéfaction à la majorité des cambodgiens présents sur la terrasse de
l’établissement. Alors que le second australopithèque s’acharnait à son tour,
j’observais les visages ébahis par les images qui défilaient alors. Il s’y
lisait une fascination collective (avec ses yeux qui brillent) qui se renforça encore
avec la fameuse ellipse…
Et 2001, l'Odyssée de l'espace
fut… au Cambodge et encore mieux qu’au cinéma.
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