La scène d’ouverture semble être un clip publicitaire typique des années 80. De ces publicités qui nous vendaient des déodorants ou bien de l’eau gazeuse. Une femme semble pendre le plus de distance possible avec un monde dont elle porte les blessures. On ne le sait pas encore mais cette scène se révèlera en toute fin de métrage. Cette femme habillée d’une robe rouge, porte en réalité cette robe blanche du passé, celle de l’innocence qu’elle arborait. Une robe qu’une spirale sanguinaire tâcha et qu’un long flash-back nous montrera. Tout commence ainsi, pas vraiment. Love Massacre (1981) de Patrick Tam Kar-Ming, son second long-métrage après l’épique The Sword (1980) démarre sur une déception amoureuse. Cette déception aboutira sur un acte tragique qui sera la cause de conséquences bien plus grandes, le déclencheur d’un marasme lugubre que le générique semble appelé. Un générique dont les crédits rouge/bleu sur fond noir nous explosent en plein visage. Le tout orchestré par une musique transcendante de Vivaldi qui semble être joué par le groupe Curved Air, groupe de rock progressif. Le tempo est donné et pourtant…
Alors que Louie (Charlie Chin Chiang-Lin) met un terme à leur relation, Joy (Tina Lau Tin-Lan) fait une tentative de suicide. Cette dernière est épaulée par son amie Ivy (Brigitte Lin Ching-Hsia) qui fait appel au frère de Joy, Chiu Ching (Chang Kuo-Chu). Ivy et Chiu Ching ont une aventure. Cependant, la santé mentale de Chiu Ching tend à s’aggraver…
Inspiré d’un fait divers, l’action de Love Massacre prend place à San Francisco (une ville chère à Patrick Tam) qui nous ferait presque penser à un décor de cinéma notamment dans cette façon dont elle est mise en image. Sur un scénario de Joyce Chan Wan-Man propice à laisser Patrick Tam exercer ses expérimentations visuelles, Love Massacre pourrait se scinder en deux parties. Une première dont la réalisation se caractérise par un ton posé qui dénote fortement avec le générique du début. Un peu comme si l’on assistait à un mélodrame au goût âpre et pouvant se rapprocher d’un certain cinéma européen des années 60. On y découvre alors des personnages qui semblent avoir perdu toute vitalité, des corps inertes écrasés par une fatalité morbide. La deuxième partie vient quant à elle contre-carrer ce qu’il semblait se dessiner. Elle est à l’exact opposé de la première. La tension crescendo qu’on sentait monter tout du long explose enfin dans un slasher décontenançant, d’autant plus désorientant qu’une baisse de rythme s’immisçait alors. La rupture de ton s’amplifie jusqu’à nous pousser dans nos derniers retranchements de spectateur-témoin, face à ce massacre qui donne une partie de son titre au film. Cette partie, fleuron d’un cinéma d’horreur et d’épouvante à l’image du giallo créé par Mario Bava ou de son digne héritier Dario Argento instaure un malaise, atténué (malheureusement ou heureusement) par les coupes de plan. En effet, les actes meurtriers à huit clos auquel se livre le psychopathe ont été censurés, sans doute pour tenter de faire de Love Massacre, un film grand public.
Il serait bon avant de conclure sur Love Massacre, de mettre en perspective les influences de Patrick Tam. Si ce dernier ne s’est jamais caché d’avoir un profond respect pour les œuvres de Jean-Luc Godard. Il est également intéressant d’y retrouver des influences picturales, autres que cinématographique. En l’occurrence, l’activité de certains peintres que le cinéaste hongkongais met en lumière. Ainsi par son propre travail de composition des plans, Patrick Tam fait écho aux œuvres de Mark Rothko. Outre le fait de voir deux de ses personnages visiter une exposition, on retrouve ces mêmes personnages camper le rôle d’aplat souvent surexposé à des fonds unicolore. Ils deviennent alors eux-mêmes des « tableaux vivants » ou de simples incrustes dans un plan en ligne directe avec le mouvement Colorfield painting. Lorsque Patrick Tam ne souligne tout bonnement pas le travail de David Hockney. L’auteur de Love Massacre va à l’encontre d’un cinéma dit de faussaire auquel se complet un réalisateur comme Quentin Tarantino. Ici, ses essais visuels, il les réalise en les incorporant dans son univers désillusionné, où ses personnages semblent être des figurines mortes à l’existence vaine. Patrick Tam orne alors de ses influences son œuvre comme on s’amuserait à recouvrir les murs de son chez soi avec des tableaux de maîtres ou des affiches de cinéma.
Love Massacre est un film expérimental que Patrick Tam semble vouloir oublier, un film ni commercial, ni vraiment personnel. Il est de ces films un peu bâtard dont émanait un certain génie auto-destructeur. Un exercice de style à l’identité schizophrène tant dans le fond que la forme. Certes, Love Massacre n’est pas une œuvre qu’on pourrait qualifier d’achevée, elle n’en dégage pourtant pas moins une force fascinante. Une expérience indélébile qui mélange amour et horreur dans un bain de sang effrayant.
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